Editorial 2020

du bulletin de la Société des Amis des Monuments Rouennais :

• Triste printemps… L’épidémie et le confinement prolongé qu’elle impose ont interrompu toute vie associative. De notre programme 2019-2020, aucune des conférences annoncées pour le 31 mars ou le 5 mai, ni des visites prévues à partir du 16 mars, n’a pu être maintenue ; et de même a-t-on dû annuler la promenade en car envisagée pour le 7 juin dans la région de Conches. Que nos adhérents, toutefois, se rassurent : en compensation de cette perte, notre Conseil d’Administration a décidé de leur offrir un tarif réduit, sur présentation de leur carte 2019-2020, lors de leur réinscription pour 2020-21. Et le nouveau programme ne manquera pas d’inclure les séances qui avaient dû être annulées. Souhaitons que l’année à venir en permette un déroulement plus serein ! …

• La pénible épreuve que nous avons subie, en focalisant bien légitimement l’attention sur la question vitale de la santé publique, nous a fait un peu oublier d’autres problèmes, moins urgents sans doute, mais qui n’en continuent pas moins à se poser. La sauvegarde de notre patrimoine est de ceux-là. Qu’il nous soit donc permis, comme chaque année, de faire le point sur ce sujet.

StPierreChLes élections municipales, dont le second tour à Rouen a dû, lui aussi, être reporté, ont été l’occasion de s’interroger sur la place que les divers candidats accordaient au patrimoine de la cité. Peu, en fait, y faisant allusion dans la présentation écrite de leur programme, nous avons jugé opportun d’envoyer à chaque tête de liste une lettre leur demandant quelle serait leur politique en la matière s’ils accédaient à la gestion municipale. Tous ont répondu, fût-ce in extremis. On en trouvera un aperçu dans ce Bulletin. Mais force est de constater que ce sujet, dont certains semblaient même découvrir l’existence, est loin d’avoir la place qu’il mériterait dans ces projets électoraux. Quels que soient les élus, il faudra donc sans relâche leur rappeler que dans une ville comme Rouen, à l’immense potentiel touristique et aux prétentions à devenir capitale européenne de la culture, l’investissement dans la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine, petit ou grand, n’a rien d’un gaspillage et doit donc figurer parmi les priorités.

• L’opération la plus médiatisée, en ce domaine, de l’exercice qui s’achève aura été l’ « appel à projets » lancé par la Ville sous le titre ambitieux « Rouen réinvente son patrimoine » et concernant quatre anciennes églises : deux, en fait – Saint-Pierre-du-Châtel et Sainte-Croix des-Pelletiers – désaffectées depuis la Révolution et reconverties de longue date, les deux autres – Saint-Paul StPaulet surtout Saint-Nicaise- désacralisées récemment et posant un tout autre problème. L’importance du sujet exigeait qu’on lui consacre ici un développement particulier, qu’on trouvera plus loin dans ce Bulletin. Mais, tout juste deux ans après la publication de notre livre Eglises et chapelles de Rouen, un patrimoine à (re)découvrir – ouvrage toujours disponible ! – qui faisait bonne place aux quatre édifices en cause, reconnaissons que son cri d’alarme n’était pas sans raisons. Et si l’opération s’est au total mieux terminée qu’on aurait pu le craindre, les propositions retenues pour trois de ces églises préservant leur aspect extérieur et n’introduisant au-dedans que des aménagements réversibles, il ne faudrait pas que ce relatif succès ouvre la voie à d’autres reconversions d’édifices cultuels jugés en surnombre dans une ville dite « aux cent clochers ». Reconvertir vaut certes mieux que démolir, option fâcheusement retenue dans d’autres régions, aux dépens notamment d’églises du XIXe siècle, et dont on trouverait des exemples normands au Havre il y a quelques années, ainsi plus récemment qu’à Grand-Quevilly pour la chapelle moderne Sainte-Bernadette. Rouen, heureusement, s’en est jusqu’ici abstenue, malgré certaines tentations récurrentes visant Saint-Paul. Mais si acceptables que puissent paraître certaines reconversions, la vocation d’une église est tout de même d’abord de rester lieu de culte, et aussi de rester lieu ouvert à tous ceux, Rouennais ou touristes, qui en apprécient la beauté, ce que ne garantit nullement une privatisation du lieu. Souhaitons donc que les autorités rouennaises, tant religieuses que municipales, en aient pleinement conscience et s’accordent en ce sens.

stAndréParmi les chantiers en cours, signalons celui de la Tour Saint-André, ce triste exemple, dans la rue la plus fréquentée de la ville, de plusieurs décennies d’abandon. L’opération actuelle devrait permettre d’enlever l’inesthétique pare-gravats. Mais quand se décidera-t-on à rendre sa blancheur à cet édifice dont la crasse a de quoi nous faire honte ? Moins visibles peut-être, d’autres travaux sont engagés sur la toiture de la chapelle Grammont, aujourd’hui devenue église Sainte-Catherine. Souhaitons que l’épidémie ne retarde pas trop l’achèvement de ces restaurations et qu’on n’ajourne pas indéfiniment celle, non moins nécessaire, de la Fontaine Sainte-Marie, ce beau monument orné de statues de Falguière, fragilisé par une végétation incontrôlée. Un grand moment aurait dû être l’inauguration, prévue fin mai, de l’Aître Saint-Maclou soigneusement restauré. Là aussi, il y aura retard, mais réjouissons-nous, après les inquiétudes initiales, de cette opération superbement menée sous la direction de l’architecte en chef Richard Duplataitre. Et souhaitons enfin que pour l’avenir, la mise en valeur touristique de cet ensemble exceptionnel n’oublie pas, par l’accent mis sur l’artisanat céramique ou d’éventuels spectacles, la vocation première des lieux, accueillir les morts de la peste, dont l’ampleur de la pandémie actuelle devrait nous rappeler tout le sens.

• Portez-vous bien !

Jean-Pierre CHALINE
président des Amis des Monuments Rouennais

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