Editorial 2009

du bulletin de la Société des Amis des Monuments Rouennais

« Rien » : c’est paraît-il ce que notait Louis XVI à la date du 14 juillet 1789. Mais c’est aussi – en toute modestie – ce qu’est tenté d’écrire l’éditorialiste chargé de commenter l’actualité rouennaise en ce qui concerne le patrimoine. Le triste béton du ci-devant Palais des Congrès est toujours debout ; son remplaçant se fait attendre, se sachant d’avance mal accueilli. La flèche de notre cathédrale, amputée de son clocheton (on pourra bientôt commémorer le Xème anniversaire de sa chute), continue d’affliger le regard des touristes et des Rouennais. L’exceptionnel Aître Saint-Maclou se dégrade lentement sous sa couverture de toile goudronnée. Et l’on n’ose plus parler de l’église Saint-Nicaise abandonnée à sa décrépitude, encore moins de Saint-Pierre-du-Châtel à peu près tombé dans l’oubli …

ni même de la Bibliothèque Villon dont se poursuit pour la sixième année la quasi fermeture, tous les « Grain de sel » et autres « RN’bi » ne remplaçant pas ce qu’on attend d’un tel établissement, c’est-à-dire l’accès aux livres.

palais_justice L’an dernier nous avait réservé quelques belles surprises, avec le magnifique ravalement du Palais de Justice, qui s’achève pour la partie Est construite au XIXe siècle, ou avec l’exemplaire restauration de l’hôtel de Crosne devenu Tribunal administratif. Que pourrons-nous bien mettre au compte de la présente année ? Peut-être l’achèvement – des crédits spéciaux y étant affectés – du nettoyage de la façade occidentale de la Cathédrale, qui retrouverait ainsi, comme la Tour de Beurre, toute sa blancheur originelle.

La ville d’Art et d’Histoire qu’est Rouen, célèbre pour cela dans le monde entier, ne peut se contenter de vivre sur une réputation, toujours à soutenir, ni sur des acquis antérieurs, jamais définitifs : ainsi, maints pans de bois mis en valeur il y a trente ans demanderaient à nouveau des soins ; et tout près de l’emblématique circuit piétonnier qui fait notre fierté, des rues se clochardisent aux dépens d’un bâti ancien souvent de qualité. Il y a vraiment à faire, et l’on aimerait voir programmer quelques chantiers. Si l’abbatiale Saint-Ouen, cette seconde cathédrale, est actuellement l’objet de notables réparations qu’on ne saurait ignorer, on souhaiterait voir enfin restaurée la Fierte (un ne nos monuments classés) et l’on attend impatiemment que le Portail des Libraires cesse d’être en noir et blanc, les quadrilobes nettoyés n’en faisant que plus ressortir la crasse de la partie haute. Ne peut-on de même espérer qu’à Saint-Maclou, au clocher si bien rétabli ces dernières années, on se préoccupe enfin des portails dont les sculptures Renaissance sont en triste état ? Il n’est pas de bonne gestion de remettre à des jours financièrement meilleurs certains travaux de toute façon inévitables qui, pris à temps, seraient moins coûteux qu’ils ne risquent de l’être plus tard.

portailcath.jpg A côté de ces monuments historiques qui jouissent au moins officiellement d’une protection, disons aussi un mot de ce qu’on semble découvrir sous le nom de « petit patrimoine » et qui, trop mis au premier plan, pourrait devenir en temps de vaches maigres un alibi pour oublier le « grand ». Pour nous, Amis des monuments rouennais, il n’existe qu’un patrimoine, englobant aussi bien les édifices prestigieux qui font la gloire de la ville que les demeures plus modestes, que l’ancienne fontaine, que le linteau daté, que la petite sculpture qui, à côté, contribuent au charme de la cité. Faut-il rappeler ici l’effort des AMR, depuis leur création, pour sauver telle vieille maison, pour réhabiliter pans de bois et façades anciennes dans tel quartier déshérité ? Aurait-on oublié notre effort opiniâtre en faveur de la petite chapelle des Ursulines que nous avons contribué à remettre en état ? Notre intérêt pour les restes de la muraille, pour les oratoires des anciens Capucins ? Notre rôle pionnier pour faire prendre conscience d’un patrimoine industriel, des fours de faïenciers aux moulins du Robec ? Faut-il redonner la liste de nos ouvrages qui ont fait découvrir la richesse du décor urbain, les plaques commémoratives au fil des rues, les tombes du Cimetière Monumental, et tant de demeures méconnues ? S’il faut se féliciter que notre message ait été entendu et qu’un vaste public soit sensibilisé à tout cela, au point qu’on en oublie parfois les initiateurs, veillons à ne pas disperser les efforts de sauvegarde en actions trop ponctuelles ou, pis encore, concurrentes. Visons plutôt à les rassembler dans un commun souci du Patrimoine au sens le plus large, qui leur donnera beaucoup plus de poids.

Le Bulletin 2009, où l’on retrouvera, largement illustrées, deux des conférences entendues cette année dans le cadre de nos programmes AMR et Connaître Rouen , développe tout spécialement, suite à la visite du mois de juin, un projet depuis longtemps étudié par notre société et dont elle a fait part à l’adjoint responsable du Patrimoine : à savoir la réhabilitation d’un secteur urbain dégradé et pourtant fort intéressant, celui de Saint-Paul à l’entrée Est de la ville, triplement digne d’intérêt par ses édifices religieux romans et néo-romans, par une imposante école emblématique du XIXe siècle, et par un ancien établissement thermal du XVIIIe siècle. C’est une fois de plus la preuve de notre souci d’éléments négligés sinon ignorés du patrimoine urbain.

Par ailleurs, le programme AMR pour l’année qui vient souligne très fortement l’intérêt que porte notre société à l’un des édifices majeurs de la région, le château de Gaillon. 2010 verra le Vème Centenaire de la mort de son bâtisseur, le cardinal Georges d’Amboise, et avec notre ami Daniel Duval qui a réalisé une imposante maquette dudit château, nous avons lancé l’idée d’un colloque qui mettra en lumière la vie et l’œuvre de ce grand personnage de la Renaissance.

Notons enfin que 2009 marque un anniversaire que l’on ne saurait oublier : celui des 40 ans de « Connaître Rouen », ce cycle de visites et conférences créé à la rentrée 1969 par la dynamique Présidente qu’était Elisabeth Chirol avec l’éclatant succès que l’on sait. Célébrons-le dignement avec tous les Amis des Monuments Rouennais.

Jean-Pierre CHALINE

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